J'ai récupéré ce texte remarquable du site https://temoignagefiscal.com/baisse-du-qi-appauvrissement-du-langage-et-ruine-de-la-pensee-par-christophe-clave/ Il m'avait été suggéré auparavant sur une page Facebook. Je crois utile de le diffuser le plus largement possible : il nous explique beaucoup de choses sur notre langue parlée.
***
Par Christophe Clavé*
L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu
jusque dans les années 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI)
moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les
chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion
de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.
La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en
cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble
bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les
pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la
cause.
A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence
s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui
démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la
langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé,
mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler
une pensée complexe.
La disparition progressive des temps (subjonctif, passé
simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à
une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le
temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la
ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression.
Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un
mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il
n’y a rien.
Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de
capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une
pensée.
Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la
sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des
mots sur les émotions.
Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe
chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est
pauvre, moins la pensée existe.
L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux
de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté
comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant
et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans
pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée
hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir
sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession
d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée
relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être,
ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce
qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire
entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants:
faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.
Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées,
même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans
cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il
faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les
genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les
fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est
pas de beauté sans la pensée de la beauté.
* Professeur de stratégie & management INSEEC SBE
Aucun commentaire:
Publier un commentaire