mardi 20 juillet 2021

Magnifique texte de Christophe Clavé

J'ai récupéré ce texte remarquable du site https://temoignagefiscal.com/baisse-du-qi-appauvrissement-du-langage-et-ruine-de-la-pensee-par-christophe-clave/ Il m'avait été suggéré auparavant sur une page Facebook. Je crois utile de le diffuser le plus largement possible : il nous explique beaucoup de choses sur notre langue parlée.

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Par Christophe Clavé*

L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu jusque dans les années 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI) moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la cause.

A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.

Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.

Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.

Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.

L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.

Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté.

* Professeur de stratégie & management INSEEC SBE

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lundi 12 juillet 2021

LE ‘COUAC’ DANS L’OREILLE

Les progrès de la technologie nous coupent le souffle régulièrement. Les découvertes scientifiques et les innovations se succèdent à un tel rythme qu’on ne peut réellement pas en suivre l’évolution au jour le jour. En principe, tous ces progrès visent soit au mieux-être de l’humanité, soit à l’avancement des ventes et du marketing.

      C’est une des marques fondamentales des 60 ou 70 dernières années. Dans cette foison de nouveautés, il y en a une qui doit bien dater de 30 ou 40 ans : c’est celle du ‘couac’ dans l’oreille. « Quel couac ? » me demanderez-vous avec raison. Je parle du couac qui survient à l’improviste pendant une conversation téléphonique avec un interlocuteur(trice), quel(le) qu’il (elle) soit. Bon, c’est rendu que j’écris comme à l’UQAM. Passons. Je reprends.

      Vous êtes au téléphone et vous jasez avec un ami ou un parent, ou vous voulez organiser une rencontre, ou que sais je… Ça fait, disons, sept minutes que vous jasez ainsi. Soudainement, vous entendez un fort ‘couac’ dans votre oreille collée au récepteur. Tous les jeunes de 45 ans ou moins savent d’instinct ce que ce couac veut dire.

      Il signifie que quelqu’un d’autre veut vous parler. À ce moment, vous dites à votre premier interlocuteur : « Un instant, j’ai un autre appel ». Puis, sans autres manières, vous pesez sur le bouton ‘flash’ sur votre téléphone. Notez que je ne sais pas où est ce bouton semblable sur le vieux cellulaire que je possède. Donc, une fois que vous avez pesé sur le bouton ‘flash’, automatiquement (c’est beau, le progrès !) vous vous trouvez en communication avec le second interlocuteur, celui qui vient de couper ainsi votre première conversation.

      Vous le saluez et lui demandez ce qu’il désire ; vous lui mentionnez que vous êtes déjà au téléphone avec quelqu’un. Ce second interlocuteur, un peu belette, va peut-être avoir l’impolitesse de vous demander avec qui vous étiez en train de parler, ce qui, d’habitude, n’est pas, mais absolument pas de ses affaires, mais vous êtes une personne polie et vous éludez sa question. Vous lui redemandez alors ce qu’il désire.

      Votre second interlocuteur, complètement indifférent au fait que votre premier correspondant attend toujours, commence alors à vous expliquer pourquoi il vous appelle. Mais vous le coupez avec gentillesse en lui disant : « Écoute, je veux bien, mais je suis déjà au téléphone… » Votre deuxième interlocuteur vous dit alors : « Ah, OK, écoute, il n’y a rien qui presse. Je vais te rappeler. Bye. » Et il raccroche. Le tout a pris entre deux et six minutes, selon la verbosité des interlocuteurs ou interlocutrices.

      Tout de suite, voue pesez à nouveau sur le bouton ‘flash’ pour revenir à votre première conversation. Là, deux choses peuvent se produire. Ou bien votre interlocuteur a été patient et il vous attend toujours au bout de la ligne. Ou bien, impatient et, oui, contrarié, il a raccroché. Il a raccroché parce que l’interruption de votre conversation, interruption toujours très impolie, l’a insulté ou pour le moins, contrarié. Vous savez pourquoi ?

      Il y a une raison que j’ai probablement apprise près des jupes de ma mère. Quand deux personnes sont en conversation, il est très malvenu de chercher à interrompre leur échange, sauf, évidemment, pour un cas d’urgence ce qui, convenons-en, n’arrive pas si souvent que ça. Si l’interruption d’une conversation est si impolie, au nom de quoi les inventeurs de la technologie idoine se sont-ils permis de créer ce ‘couac’ dans l’oreille quand on est au téléphone avec quelqu’un ? Voilà un cas de support technologique à une impolitesse sociale très déplaisant.

      Chez moi, quand j’entends le couac dans mon oreille, depuis un bon moment, je ne réagis plus et je poursuis ma conversation. Si quelqu’un veut me parler, il me téléphonera quand ma ligne sera libre. Je vais d’ailleurs bientôt contacter mon fournisseur de service téléphonique pour qu’il enlève cette impolitesse, cet 'appel en attente', de mon forfait.

      Si, bien sûr, en cette merveilleuse époque qui est la nôtre, cette option est encore possible.

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