lundi 27 avril 2020

CHER MONSIEUR LEGAULT…


Cher Monsieur Legault, arrivé à ce point dans la lutte contre la pandémie, je dois vous dire que maintenant, vous en faites trop. Tous et toutes, avec raison, ont reçu et apprécié comme il se doit votre gestion de crise ouverte, franche et sans flafla de la pandémie qui nous frappe tous. Votre conférence de presse quotidienne est suivie comme autrefois les grandes messes du dimanche de Pâques ou la messe de minuit de Noël. Ça fait plus d’un mois que vous soutenez ce rythme infernal, et ça commence à paraître, je suis au regret de vous le dire. Mme McCann et le Dr Arruda aussi, soit dit en passant, on commence à lire la fatigue sur leur visage. C’est là que des erreurs risquent d’être commises.

Les médias et commentateurs à tous crins commencent - avec raison - à regimber, à grincer des dents. Ils posent des questions de plus en plus pointues et embarrassantes. Ils découvrent des situations inacceptables ici et là, partout au Québec et surtout dans la région de Montréal. Ils jouent le rôle de l’opposition, puisque l’Assemblée nationale ne siège pas. Cela est une erreur.

L’Assemblée nationale, notre parlement, vous semblez l’avoir oublié, est un service essentiel en démocratie. On peut comprendre le besoin de réactions rapides et aussi efficaces que possible en début de crise. Suspendre les débats pour quelques semaines, ça peut aller. Mais là, le parlement québécois est fermé depuis trop longtemps, depuis beaucoup trop longtemps. Je sais d’instinct que les bureaucrates du monstrueux ministère de la santé n’aimeront pas ça : ils adorent gouverner par décrets. Mais rouvrez-le, notre parlement. Vous verrez : il y aura beaucoup plus de bénéfices que d’inconvénients. De plus, il va de soi qu’une période de questions au Salon bleu ou en partage virtuel remplacera la conférence de presse que vous donnez de plus en plus inutilement en personne à tous les jours. Arrivé là où nous en sommes, une rencontre de presse aux deux jours serait suffisant. Amplement.

Erreur

Votre gouvernement, à l’instar de beaucoup d’autres, a commis dès le début de la pandémie, une erreur de taille. Vous avez sorti les personnes âgées hospitalisées des centres hospitaliers pour les envoyer dans les CHSLD et autres ressources similaires. Il fallait rendre disponibles en quantité des lits d’hôpitaux en prévision de l’arrivée massive des contaminés à la Covid-19. Bien sûr, c’est facile de constater après coup cette mauvaise orientation. Le regard en arrière est toujours de qualité 20/20. Ce faisant, toutefois, vous avez transformé beaucoup de ces maisons d’hébergement de nos vieux et vieilles en centres d’infection du Covid-19 où présentement, ça continue de mourir presque comme des mouches.

Vous vous arrachez le cœur à demander de l’aide pour les CHSLD dont le personnel, sous-payé, est infecté et en quarantaine ou a déserté le bateau par peur de l’infection. La vocation de héros n’est pas pour tout le monde. Évidemment, cela ne règle en rien la situation à moyen terme de ces établissements qui, depuis leur constitution, sont devenus des dépotoirs de vieux êtres humains. Vous ne faites qu’amener plus de pompiers volontaires pour combattre un incendie qui couve depuis des décennies.

Après avoir demandé l’aide des médecins spécialistes, puis du personnel médical de l’armée, puis des fonctionnaires dans la machine gouvernementale, puis (encore) de l’armée, vous faites maintenant appel à toute la population du Québec pour tenter de soulager le personnel restant et débordé dans les CHSLD. Vos appels paraissent de plus en plus désespérés.

Puis, pendant que vous faites tout cela (vos journées sont consacrées à préparer la conférence de presse) et espérez que la bureaucratie ne vous a pas mal informé de ce qui se passe sur le plancher des vaches, il semble que personne autour de vous ne pense à l’APRÈS. Je ne parle pas ici du déconfinement un peu, beaucoup, pas trop. Non, je parle du monde à réinventer pour l’après pandémie.

Quel monde ?

Vos décrets sur le confinement ont brisé le monde que nous connaissions. Les mesures d’éloignement sanitaire entre personnes viennent de jeter par terre le modèle sociétal consumériste qui était le nôtre. Après la période que nous vivons et quand nous serons enfin sortis de cette pandémie, qui, selon vous, acceptera d’aller dans un restaurant qui ne garantira pas une distance prudente entre les clients de même que la propreté immaculée du lieu ? On peut se poser la même question pour les cinémas, les festivals de toutes sortes qui rassemblent des foules immenses ou les gens sont collés les uns aux autres.

Après cette pandémie, qui voudra à nouveau de s’entasser comme du bétail dans les classes économiques des avions pour aller dans le sud ou en Europe ? Enlever deux tables sur trois dans les restaurants assurera leur faillite, pour ceux qui auront survécu à la présente période. Faire de même et faire disparaître des rangées entières de bancs dans les avions, les trains de passagers ou les autobus urbains ou scolaires créera toutes espèces de problèmes au plan de l’économie et du génie. Actuellement, quelque part caché dans les organigrammes de vos ministères, quelqu’un a-t-il entrepris cette réflexion et commencé à identifier des orientations et des pistes d’action ? Il le faudrait, parce que ces questions vont se poser à toutes les sociétés.

Je ne veux pas ajouter à votre charge de travail. On dit que gouverner, c’est prévoir. Vous devriez être rendu là.