lundi 30 janvier 2017

LE RECUL


Avant de revenir à Montréal à l'été 2014, je suis demeuré 23 ans à Québec. J'habitais Sainte-Foy, et j'empruntais très souvent le Chemin Sainte-Foy pour aller à l'Université Laval où je travaillais. Je suis passé devant la Grande Mosquée de Québec des centaines, sinon des milliers de fois devant cet édifice, une ancienne caisse populaire Desjardins, située Chemin Sainte-Foy au coin de la route de l'Église.
Des musulmans de Québec ont acheté cet édifice qui était à vendre, pour le transformer en une mosquée et en un Centre culturel. Au hasard de mes passages, j'y ai vu des fêtes, des opérations « portes ouvertes ». Le vendredi, jour de la prière pour les Musulmans, le petit stationnement attenant était plein, mais autrement, l'endroit était tranquille, tout comme son environnement.

Voilà qu'en ce 29 janvier 2017, l'impensable est survenu. Deux individus (1) ont fait irruption dans cette modeste mosquée, ouvert le feu, et assassiné au moins 6 personnes et en ont blessé autant d'autres. On ne sait pas pourquoi ils ont agi ainsi. Les autorités parlent d'un acte terroriste, mais cela ne nous en dit pas beaucoup. Ce qui est clair, c'est que c'est un autre recul de notre civilisation, tout comme l'ignoble président américain, avec son décret bannissant tous les ressortissants de certains pays arabes, engage son pays dans un immense bond en arrière.

On croyait, comme Canadiens et Québécois, que nous progressions dans le bon sens, vers une meilleure acceptation de l'Autre, vers une meilleure intégration des populations venues s'installer chez nous, un pays étranger pour elles. Notre réputation est celle d'un pays ouvert et tolérant, pas sectaire et haineux. Les assassinats d'hier viennent soudainement déchirer cette croyance.

Il nous faut réaliser que nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les autres nationalités autour de nous, que ce soit ici en Amérique ou en Europe. Nous avons dans notre sein une fange de dérangés, car il faut l'être sérieusement pour ouvrir le feu sans provocation sur des gens pacifiques, désarmés et terminant une séance de prière. Nous avons parmi nous nos haineux qui s'abreuvent au discours de la détestation des autres, quel qu'ils soient. Nous avons nos obsédés de la pureté de la nation, de l'intégrité de notre christianisme, même si presque plus personne ne fréquente l'église au Québec. Nous avons nos radicaux de toutes les causes pour qui leur foi en leur cause remplace la réflexion.
Nous avons, plus particulièrement à Québec, des radios dites populaires ou poubelles  qui incitent plus ou moins tacitement les plus bas instincts radicaux et exclusifs à s'exprimer. Nous avons des médias sociaux dont le degré de morbidité et de diffusion de faussetés est sans précédent. Internet et les technologies des communications n'ont pas que des effets bénéfiques.

Bref, nous avions en nous les germes de ce qui vient de se passer à Sainte-Foy. On croyait que les attentats de fous, c'était pour Londres, New York, Paris ou Mumbai, mais pas ici. Bien sûr, nous avons eu les deux dérangés lâches de Saint-Jean-sur-Richelieu et d'Ottawa, il y a une couple d'années, mais à part deux militaires, ils n'ont pas causé de carnage.
Mais là, le carnage gratuit et insensé est bel et bien survenu ici, chez nous. Je prédis qu'il y en aura probablement d'autres, à terme.

C'est le moment parfait pour se recueillir, réfléchir et regarder d'un œil neuf ceux et celles qui nous entourent. C'est le moment parfait pour nous ouvrir davantage aux autres qui ont choisi de venir vivre ici.
Enfin, c'est le moment parfait pour exprimer aux proches des victimes de Québec et à toute la communauté musulmane du Québec et du Canada toute notre sympathie dans ce deuil cruel qui les frappe.

(1) Depuis ma première rédaction de ce texte, nous avons appris que l'attaque sanglante du 29 janvier a été  le fait d'un seul individu qui, présentement, fait face à un procès pour multiples meurtres et tentatives de meurtre.
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