Le silence n'est plus. La Révolution industrielle,
l'invention du moteur à combustion interne, la télévision, la musique pop et
rock, tout maintenant se ligue pour éradiquer le silence. Il n'y a plus de
silence. Les endroits de silence, de vrai silence, sont devenus rarissimes dans
le milieu urbain et péri urbain où la majorité des gens vit aujourd'hui.
Tout concourt au bruit ambiant, et personne n'y fait plus attention.
La hasard et mes gènes font que je fréquente souvent, trop, l'hôpital. Je ne le
nommerai pas: ils sont tous semblables, à cet égard. Il n'y a pas de chariot ou
de civière qui ne bruisse ou ne grince. Les employés, médicaux ou non, parlent
fort. On a semé l'horrible, l'affreuse télévision dans tous les recoins et qui
montre jour après jour, heure après heure, les mêmes inepties que des gens regardent.
J'écris "des gens", car ce ne sont pas tous les gens qui la
regardent. Une bonne proportion, dont je fais partie, subit en silence (!) cette
intrusion, cette agression visuelle et sonore insipide.
Je me suis enquis au sujet de la prolifération de cette
"boîte stupide" (comme
l'appellent les Britanniques), la télévision, partout dans les salles d'attente
de l'établissement. Il paraît que c'est pour réduire le niveau de stress de la
majorité des personnes, patients ou visiteurs, présentes à l'hôpital. Voilà la
dictature de la majorité stressée...
À l'extérieur, ce n'est guère mieux. Le bruit de la
circulation, les klaxons, les pétarades des motos en été, le bruit de la
machinerie lourde dans les chantiers routiers et autres omniprésents, les
tondeuses à gazon, les souffleuses de la même pelouse, les marteaux à air
comprimé, tout cela crée une cacophonie envahissante. En hiver, nous payons
cher les rares moments de silence des petits matins neigeux: le déneigement
repose sur les souffleuses à neige individuelles et sur la machinerie lourde
des autorités municipales génératrices de décibels assourdissants. Et en milieu
rural, les "4X4", motoneiges et autres engins à moteur terrestres et
nautiques brisent la quiétude environnante hiver comme été, comme si générer le
bruit démontrait que l'on vit.
Évidemment, on ne reviendra en arrière. Mais l'humain a
besoin de moments de silence. Pour se retrouver, pour réfléchir, pour se
calmer, pour réduire son niveau de stress, pour contempler autre chose qu'un
écran.
Aménager des lieux et des moments de silence malgré l'agression
de bruit ambiante devient de plus un sine
qua non d'équilibre pour chacun. Le défi est personnel et il sera d'autant
plus difficile à relever que presque tout, dans notre société de consommation,
veut nous éloigner du silence. Car le silence ne vend rien, sinon un peu de
bonheur.
Commentaire d'un ami: "Quelle belle réalité disparue de nos vies! J'ai lu ton texte avec le sourire. J'arrive d'une semaine de pêche à mon camp au Saguenay. Là, on y trouve le silence. Un silence vert, un silence miroir lorsque le paysage rugueux fait d'épinettes noires se reflète dans l'eau où ma mouche tend son piège. Seul sur un lac. Seul au camp, pas de radio, pas de tivi. On n'entend aucun bruit que des sons. Et comme tu le sais Michel, en éthique musicale, un son est un bruit, mais un bruit désiré: celui cristallin, par exemple, d'un ruisseau qui coule, le crépitement chaud du foyer, le chant d'un oiseau appelé localement « Frédéric», officiellement appelé, autrefois, pinson à gorge blanche. Aujourd'hui, on l'a «dépoétisé»: un spécialiste vous dira que c'est un bruant.
RépondreEffacerL'homme force toujours l'autre à l'entendre, malgré lui. Et comme la foule anonyme, l'homme machine et les psychologues du dimanche n'écoutent personne, ils sont convaincus que nous désirons tous les écouter. De la musique d'ascenseur aux salles d'attentes en chirurgie jusqu'aux salles de réveil, en passant par la rue en suivant un autobus, ils sont convaincus de produire des sons alors qu'ils ne font que du bruit. Il n'y a plus grand place pour la contemplation ni pour le recueillement. Au lieu de cela, le bruit a tué le silence et, du coup, avons-nous remplacé celui-ci par un médicament. Voilà, il me semble, un trait particulier de la culture occidentale.
Comme tu vois, ton texte est inspirant. À mon avis, il pose la question des rapports de l'homme à lui-même.
Commentaire du même ami:
RépondreEffacerSur un tout autre sujet. Une note sur le bruit de Milan Kundera: « La radio fut un petit ruisseau par lequel tout commença. Vinrent ensuite d'autres moyens techniques pour recopier, multiplier, augmenter le son, et le ruisseau devint un immense fleuve. Si, jadis, on écoutait la musique par amour de la musique, aujourd'hui elle hurle partout et toujours, «sans se demander si on a envie de l'écouter», elle hurle dans les haut-parleurs, dans les voitures, dans les restaurants, dans les ascenseurs, dans les rues, dans les salles d'attente, dans les salles de gymnastique, dans les oreilles bouchées des walkmen, musique réécrite, réinstrumentée, raccourcie, écartelée, des fragments de rock, de jazz, d'opéra, flot où tout s'entremêle sans qu'on sache qui est le compositeur (la musique devenue bruit est anonyme), sans qu'on distingue le début ou la fin (la musique devenue bruit ne connaît pas de forme): l'eau sale de la musique où la musique se meurt». Tiré de son roman L'Ignorance, 2003.