lundi 13 mars 2017

LA 'SACRURE' DANS NOTRE PARLURE...

Si vous n'avez pas entendu les excès langagiers de Rambo Gauthier, vous faites partie des ermites de notre société. Rambo Gauthier est ce syndicaliste robuste de la Côte Nord qui veut se lancer en politique au nom du peuple et qui n'hésite pas à sacrer souvent pour pimenter ses propos. Pourquoi sacre-t-il ainsi ? On ne le sait pas. Mais M. Gauthier n'est pas le seul.

Dans la vie de tous les jours, on entend sacrer souvent au Québec, trop souvent. De plus, ce ne sont pas seulement les adultes qui sacrent ainsi : des jeunes, des ados, gars et filles, sacrent à tout vent sans réaliser la vulgarité de cette habitude. 

Des 'veudettes' de notre télé n'hésitent pas non plus à recourir au langage sacré pour, semble-t-il, chercher à donner de la force et du poids à leurs propos. Ce faisant, ils ou elles oublient le pouvoir d'influence de ce médium. Nos humoristes, à de trop rares exceptions près, sacrent allégrement sur scène, quand ce n'est pas au petit écran. Pourquoi tout ce monde sacre-t-il, alors qu'au Québec, on a tout fait pour se débarrasser de la tutelle sociale de l'Église catholique ?

Il est bien difficile d'attribuer une seule cause à cet état de fait. Avant les années 1960, on sacrait à ses risques et périls. Les mères ne le toléraient pas et plus d'un Québécois d'un certain âge peut se rappeler une punition ou une tape derrière la tête pour avoir échappé un "gros mot", comme on disait. Les curés ne le toléraient pas non plus et sacrer en public était, pour ainsi dire, un péché de comportement. Mais voilà. Avec l'effondrement de la pratique religieuse, le péché est, lui aussi, disparu. Alors, pour démontrer qu'on est libre, on sacre tant et plus.

Il y a autre chose. Sacrer dénote un manque évident d'imagination et de vocabulaire. Cela illustre aussi un refus de raffiner et de nettoyer un tant soit peu son langage de tous les jours. Au Québec, la Révolution tranquille a eu d'immenses effets bénéfiques pour la société. Parmi les effets moins bénéfiques, la Révolution tranquille a aussi mis de l'avant un fort rejet des 'élites'. Personne n'a jamais précisé exactement qui étaient ces élites. Les riches ? Les cultivés ? Les curés ? Ce n'est pas clair. Mais ce mépris des élites a entraîné dans son sillage un refus de s'élever, de peaufiner son langage, d'en éliminer l'incitation au mieux, au plus élevé. Cela explique peut-être - en partie la 'sacrure' des vedettes et des gens qui, en principe, devraient savoir mieux parce qu'ils ont reçu de l'enseignement supérieur. Mais cette explication boîte pas mal.

En bout de ligne, c'est probablement la famille qui est à l'origine de ce détestable, commun et vulgaire comportement. Si, dans une famille, on ne sacre pas et on ne tolère pas les sacres et les jurons, il y a de fortes probabilités que les enfants, en vieillissant, tout en étant confrontés à la pression de leurs pairs au secondaire ou au cégep, ne prennent pas l'habitude de sacrer à propos de tout et de rien. 

Mais comment reprocher à un Québécois de sacrer quand, depuis sa petite enfance, il entend ses parents sacrer en permanence dans la maison ? Hélas, près de la moitié des familles chez nous éclatent ou se reconstituent tant bien que mal. L'éducation des enfants dans la bulle familiale peut en souffrir, c’est évident.

Jurer et sacrer n'est pas une affliction unique au Québec. Dans d'autres sociétés on sacre et on jure également. Ce qui nous distingue, toutefois, c'est le recours au vocabulaire religieux (hostie, tabernacle, ciboire, calice, etc.). On invoque, très en vain, le nom du Seigneur (Christ). On est devenu incapable de se trouver des expressions moins vulgaires pour exprimer ses émotions ou renforcer ses affirmations.

Nos parents, quand ils étaient très choqués, pouvaient échapper un "bâtard !" (jugé quand même vulgaire), un "Jérusalem !", un "cibolle", un "tabarnouche !" ou un "viande à chien !"... D'autres expressions colorées étaient utilisées, mais dans ces générations, en général, on ne sacrait pas comme aujourd'hui. 

Comme Québécois, nous avons là un défi à relever. Moins de 'sacrure' fera peut-être que notre 'parlure' sera plus acceptable et mieux acceptée…


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Avec l'aimable collaboration de mes vieux complices de Québec Normand Chatigny, Denys Larose et Jean-Noël Tremblay.

Image : Les Affaires


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