mardi 30 août 2022

« LA MADAME », ou Much ado about nothing…

On me pardonnera de citer Shakespeare en titre de texte, mais sa courte phrase dit tout. Le pseudo faux-pas de François Legault, qui a parlé de la « madame » au lieu de nommer Dominique Anglade, n’est rien. Oh ! Bien des bas de nylon se sont déchirés, bien de petites culottes se sont tordues, mais pour reprendre Shakespeare en bon Québécois, « il n’y a rien là ».

Je regarde se dérouler des élections générales québécoises depuis 1956. Il y a certes celle de 1952, mais j’avais huit ans et je ne peux prétendre m’en rappeler vraiment. Mais en 1956, la dernière gagnée par Maurice Duplessis et l’Union nationale, je me rappelle bien que malgré la domination de l’UN, la campagne fut féroce. Puis il y a eu 1960 et l’arrivée de Jean Lesage au pouvoir ; 1962 et la nationalisation de l’électricité ; 1966 et la surprise du retour de l’UN au pouvoir.

En 1970, Robert Bourassa gagne l’élection pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et le PQ apparaît dans le tableau avec sept députés. En 1973, Bourassa remporte une victoire encore plus convaincante avec 102 députés élus. Le PQ recule de sept à six députés.

Si je compte bien, là, je suis rendu à six élections dont j’ai passionnément suivi le déroulement, de 1956 à 1963.

Puis arrive 1976, où le PQ, au grand désespoir du Canada-Anglais, prend solidement le pouvoir. Malgré son échec référendaire de 1980, le parti de René Lévesque gagne les élections de 1981. En 1985, l’UN étant disparue du paysage politique, Robert Bourassa et le PLQ remportent la victoire, succès qu’ils renouvelleront en 1989. Mais en 1994, c’est le PQ de Jacques Parizeau qui remporte l’élection générale. Malgré une seconde défaite référendaire en 15 ans, le PQ est réélu en 1998, alors qu’il est dirigé par Lucien Bouchard.

J’en suis donc, à ce point dans le temps, à douze élections. Continuons.

En 2003, le PQ dirigé par Bernard Landry, perd aux mains de Jean Charest et du PLQ. En 2007, Jean Charest est réélu, mais minoritaire, et l’ADQ de Mario Dumont devient provisoirement l’Opposition officielle à l’Assemblée nationale. En 2008, Une autre élection reporte Jean Charest au pouvoir et le PQ redevient l’Opposition officielle, l’ADQ s’étant effondrée pendant cette joute électorale.

Me voilà rendu à quinze élections, depuis 1956. Ça commence à faire beaucoup.

En 2012, Jean Charest et le PLQ sont relégués au statut d’Opposition officielle alors que le PQ prend le pouvoir, mais de façon minoritaire. Pauline Marois échappe de peu à un attentat à sa vie. Mme Marois déclenche une élection-surprise en 2014, mais le PQ et elle-même dans son comté sont défaits : Philippe Couillard et le PLQ retournent au pouvoir. En 2018, le PLQ est littéralement chassé du pouvoir par la Coalition Avenir Québec (CAQ), parti fondé en 2011 par François Legault et Charles Sirois. M. Legault devient premier ministre. Enfin, cette année en 2022, nous voilà encore en campagne électorale.

Si je ne me suis pas mêlé, c’est donc la 19ème campagne électorale provinciale à laquelle j’assiste maintenant. 

Évidemment, comme tout le monde, j’en ai entendu des promesses électorales, des engagements de toutes sortes au fil des élections. Ce qui fait qu’aujourd’hui, tout ce que les candidats en lice lancent dans l’air du temps pour ramasser quelques votes par ci, quelques votes par là me coule sur le dos comme de l’eau sur le dos d’un canard.

Alors vous comprendrez que l’utilisation par François Legault du mot « madame » dimanche, ça ne me fait pas un pli sur la différence. Entre la « madame » et l’inflation ou la crise du logement, disons que j’ai appris, avec le temps, à donner de l’importance aux vrais enjeux.

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samedi 26 février 2022

Des temps incertains

En ce mois de février où l’hiver étire son emprise, et où la Russie de Poutine a agressé sauvagement l’Ukraine, c’est difficile d’écrire quelque chose d’intelligent et d’original, qui n’ait pas déjà été dit ou publié.

Le sentiment le plus fondamental que je ressens est celui de la répulsion. L’attaque russe, non-provoquée, est un acte de guerre barbare qui ne doit pas réussir. Déjà, les Ukrainiens font preuve d’un courage magnifique et font en sorte que les plans des Russes sont bousculés, quand ils ne sont pas contrecarrés. C’est tout à l’honneur des Ukrainiens. Cela dit, personne n’ose prédire la suite des choses.

Cependant, on doit espérer que la résistance ukrainienne suscite assez d’indignation en Russie même pour que le dictateur Poutine commence à entendre le peuple russe, qui lui, ne veut pas de cette guerre. Oui, les manifestations en Russie sont durement réprimées, mais ce n’est pas cette répression qui va décourager les Russes avides de justice et de paix.

D’ailleurs, Poutine devrait se pencher sur les vrais problèmes de son pays. D’abord, la corruption. Le gouvernement est pourri jusqu’à la moëlle, Vladimir Poutine étant le plus grand profiteur du vol de l’argent public russe. Deuxièmement, en 2021, la Russie comptait un million de citoyens de moins qu’en 2020. Plus de Russes sont décédés que de bébés russes sont nés, la différence atteignant ce million de citoyens perdus.

Ce n’est pas en envahissant à grands coûts son pays voisin l’Ukraine que la Russie de Poutine va commencer à s’attaquer aux réels problèmes qui l'affectent. Les sanctions internationales font et feront de plus en plus mal à la Russie et aux portefeuilles de ses oligarques, Poutine en premier. L’Europe entière s’est unie contre cette agression sauvage, de même que le reste des pays occidentaux. Bref, c’est mal parti pour la Russie poutinienne.

Entendra-t-il raison ? Plusieurs en doutent, dont l’auteur de ces lignes. Il a franchi, avec cette guerre, un point de non-retour qui s’avérera peut-être fatal pour sa dictature. Espérons-le.

vendredi 7 janvier 2022

RIEN POUR RASSURER

En ce début de 2022, le gouvernement Legault, curieusement, ne sait plus où il s'en va et sa capacité de réfléchir et de planifier est sérieusement handicapée par cette pandémie qui ne finit plus de finir. La machine bureaucratique connaît d'importants ratés.

À preuve Christian Dubé qui annonce que les commerces d'état (SAQ, SQDC) vont empêcher les non-vaccinés d'y entrer le... 18 janvier. Une pareille mesure, ça s'applique immédiatement ou pas du tout. Il y a des fonctionnaires ou des attaché politiques qui dorment au gaz, présentement, à Québec.

Les conférences de presse solennelles de Legault pour nous annoncer, en heure de grande écoute, à peu près rien, revenir à un couvre-feu probablement inutile, dans le jugement de trop de monde au Québec, autant de décisions très... discutables qui n’ont pas été mûrement réfléchies.

Je constate que ce gouvernement veut agir et veut que nous, les citoyens payeurs de taxes, voyions qu'il agit. Je sais que le gouvernement est obsédé par les élections d'octobre prochain, mais présentement, avec sa gestion erratique de la pandémie, il se tire dans le pied.

J'ajoute que le maintien, contre vents et marées, d'Horatio Arruda à son poste est une sérieuse erreur stratégique. Arruda communique mal et ses idées ne sont pas claires. Il hésite constamment entre son rôle de conseiller et celui de décideur. Il est devenu, nonobstant ses autres qualités, un boulet pour ce gouvernement, mais Legault ne veut pas le voir (ou ne peut plus le voir).

On assiste présentement au développement périlleux de l'ego de François Legault. Et ça, c'est gravissime. Voilà ce que mon observation quotidienne de ce gouvernement m'inspire, présentement. Ça n’a rien pour me rassurer.

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mardi 20 juillet 2021

Magnifique texte de Christophe Clavé

J'ai récupéré ce texte remarquable du site https://temoignagefiscal.com/baisse-du-qi-appauvrissement-du-langage-et-ruine-de-la-pensee-par-christophe-clave/ Il m'avait été suggéré auparavant sur une page Facebook. Je crois utile de le diffuser le plus largement possible : il nous explique beaucoup de choses sur notre langue parlée.

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Par Christophe Clavé*

L’effet de Flynn du nom de son concepteur, a prévalu jusque dans les années 1960. Son principe est que le Quotient Intellectuel (QI) moyen ne cesse d’augmenter dans la population. Or depuis les années 1980, les chercheurs en sciences cognitives semblent partager le constat d’une inversion de l’effet Flynn, et d’une baisse du QI moyen.

La thèse est encore discutée et de nombreuses études sont en cours depuis près de quarante ans sans parvenir à apaiser le débat. Il semble bien que le niveau d’intelligence mesuré par les tests de QI diminue dans les pays les plus développés, et qu’une multitude de facteurs puissent en être la cause.

A cette baisse même contestée du niveau moyen d’intelligence s’ajoute l’appauvrissement du langage. Les études sont nombreuses qui démontrent le rétrécissement du champ lexical et un appauvrissement de la langue. Il ne s’agit pas seulement de la diminution du vocabulaire utilisé, mais aussi des subtilités de la langue qui permettent d’élaborer et de formuler une pensée complexe.

La disparition progressive des temps (subjonctif, passé simple, imparfait, formes composées du futur, participe passé…) donne lieu à une pensée au présent, limitée à l’instant, incapable de projections dans le temps. La généralisation du tutoiement, la disparition des majuscules et de la ponctuation sont autant de coups mortels portés à la subtilité de l’expression. Supprimer le mot «mademoiselle» est non seulement renoncer à l’esthétique d’un mot, mais également promouvoir l’idée qu’entre une petite fille et une femme il n’y a rien.

Moins de mots et moins de verbes conjugués c’est moins de capacités à exprimer les émotions et moins de possibilité d’élaborer une pensée.

Des études ont montré qu’une partie de la violence dans la sphère publique et privée provient directement de l’incapacité à mettre des mots sur les émotions.

Sans mots pour construire un raisonnement la pensée complexe chère à Edgar Morin est entravée, rendue impossible. Plus le langage est pauvre, moins la pensée existe.

L’histoire est riche d’exemples et les écrits sont nombreux de Georges Orwell dans 1984 à Ray Bradbury dans Fahrenheit 451 qui ont relaté comment les dictatures de toutes obédiences entravaient la pensée en réduisant et tordant le nombre et le sens des mots. Il n’y a pas de pensée critique sans pensée. Et il n’y a pas de pensée sans mots. Comment construire une pensée hypothético-déductive sans maîtrise du conditionnel? Comment envisager l’avenir sans conjugaison au futur? Comment appréhender une temporalité, une succession d’éléments dans le temps, qu’ils soient passés ou à venir, ainsi que leur durée relative, sans une langue qui fait la différence entre ce qui aurait pu être, ce qui a été, ce qui est, ce qui pourrait advenir, et ce qui sera après que ce qui pourrait advenir soit advenu? Si un cri de ralliement devait se faire entendre aujourd’hui, ce serait celui, adressé aux parents et aux enseignants: faites parler, lire et écrire vos enfants, vos élèves, vos étudiants.

Enseignez et pratiquez la langue dans ses formes les plus variées, même si elle semble compliquée, surtout si elle est compliquée. Parce que dans cet effort se trouve la liberté. Ceux qui expliquent à longueur de temps qu’il faut simplifier l’orthographe, purger la langue de ses «défauts», abolir les genres, les temps, les nuances, tout ce qui crée de la complexité sont les fossoyeurs de l’esprit humain. Il n’est pas de liberté sans exigences. Il n’est pas de beauté sans la pensée de la beauté.

* Professeur de stratégie & management INSEEC SBE

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lundi 12 juillet 2021

LE ‘COUAC’ DANS L’OREILLE

Les progrès de la technologie nous coupent le souffle régulièrement. Les découvertes scientifiques et les innovations se succèdent à un tel rythme qu’on ne peut réellement pas en suivre l’évolution au jour le jour. En principe, tous ces progrès visent soit au mieux-être de l’humanité, soit à l’avancement des ventes et du marketing.

      C’est une des marques fondamentales des 60 ou 70 dernières années. Dans cette foison de nouveautés, il y en a une qui doit bien dater de 30 ou 40 ans : c’est celle du ‘couac’ dans l’oreille. « Quel couac ? » me demanderez-vous avec raison. Je parle du couac qui survient à l’improviste pendant une conversation téléphonique avec un interlocuteur(trice), quel(le) qu’il (elle) soit. Bon, c’est rendu que j’écris comme à l’UQAM. Passons. Je reprends.

      Vous êtes au téléphone et vous jasez avec un ami ou un parent, ou vous voulez organiser une rencontre, ou que sais je… Ça fait, disons, sept minutes que vous jasez ainsi. Soudainement, vous entendez un fort ‘couac’ dans votre oreille collée au récepteur. Tous les jeunes de 45 ans ou moins savent d’instinct ce que ce couac veut dire.

      Il signifie que quelqu’un d’autre veut vous parler. À ce moment, vous dites à votre premier interlocuteur : « Un instant, j’ai un autre appel ». Puis, sans autres manières, vous pesez sur le bouton ‘flash’ sur votre téléphone. Notez que je ne sais pas où est ce bouton semblable sur le vieux cellulaire que je possède. Donc, une fois que vous avez pesé sur le bouton ‘flash’, automatiquement (c’est beau, le progrès !) vous vous trouvez en communication avec le second interlocuteur, celui qui vient de couper ainsi votre première conversation.

      Vous le saluez et lui demandez ce qu’il désire ; vous lui mentionnez que vous êtes déjà au téléphone avec quelqu’un. Ce second interlocuteur, un peu belette, va peut-être avoir l’impolitesse de vous demander avec qui vous étiez en train de parler, ce qui, d’habitude, n’est pas, mais absolument pas de ses affaires, mais vous êtes une personne polie et vous éludez sa question. Vous lui redemandez alors ce qu’il désire.

      Votre second interlocuteur, complètement indifférent au fait que votre premier correspondant attend toujours, commence alors à vous expliquer pourquoi il vous appelle. Mais vous le coupez avec gentillesse en lui disant : « Écoute, je veux bien, mais je suis déjà au téléphone… » Votre deuxième interlocuteur vous dit alors : « Ah, OK, écoute, il n’y a rien qui presse. Je vais te rappeler. Bye. » Et il raccroche. Le tout a pris entre deux et six minutes, selon la verbosité des interlocuteurs ou interlocutrices.

      Tout de suite, voue pesez à nouveau sur le bouton ‘flash’ pour revenir à votre première conversation. Là, deux choses peuvent se produire. Ou bien votre interlocuteur a été patient et il vous attend toujours au bout de la ligne. Ou bien, impatient et, oui, contrarié, il a raccroché. Il a raccroché parce que l’interruption de votre conversation, interruption toujours très impolie, l’a insulté ou pour le moins, contrarié. Vous savez pourquoi ?

      Il y a une raison que j’ai probablement apprise près des jupes de ma mère. Quand deux personnes sont en conversation, il est très malvenu de chercher à interrompre leur échange, sauf, évidemment, pour un cas d’urgence ce qui, convenons-en, n’arrive pas si souvent que ça. Si l’interruption d’une conversation est si impolie, au nom de quoi les inventeurs de la technologie idoine se sont-ils permis de créer ce ‘couac’ dans l’oreille quand on est au téléphone avec quelqu’un ? Voilà un cas de support technologique à une impolitesse sociale très déplaisant.

      Chez moi, quand j’entends le couac dans mon oreille, depuis un bon moment, je ne réagis plus et je poursuis ma conversation. Si quelqu’un veut me parler, il me téléphonera quand ma ligne sera libre. Je vais d’ailleurs bientôt contacter mon fournisseur de service téléphonique pour qu’il enlève cette impolitesse, cet 'appel en attente', de mon forfait.

      Si, bien sûr, en cette merveilleuse époque qui est la nôtre, cette option est encore possible.

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vendredi 21 mai 2021

LA « BILANDÉMIE »

Depuis plusieurs années, j'échange avec mon ami Jean-Noël Tremblay, de même qu'avec Denys Larose et Normand Chatigny, sur divers enjeux de notre société québécoise. Récemment, Jean-Noël Tremblay a rédigé un texte de fond sur la pandémie qui s'est abattue sur le monde. Avec sa permission, je suis très heureux de lui offrir l'hospitalité de mon blogue.

Jean-Noël Tremblay possède un M.B.A de l'Université Laval et un doctorat en management de H.E.C. Montréal. Il est aussi anthropologue. Aujourd'hui retraité, il a été successivement directeur général du Cégep de Sainte-Foy et du Campus Notre-Dame-de-Foy, à Québec. Il nous offre une riche réflexion sur la pandémie du COVID-19 dont on espère tous qu'elle prendra fin le plus tôt possible.

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  LA « BILANDÉMIE »

Par Jean-Noël Tremblay

Vous ne trouverez rien de lexical dans le mot « bilandémie ». Ce néologisme signifie essentiellement deux choses. D’abord, cette multitude de bilans que nous produisons et produirons encore après la pandémie. Et puis, d’appeler « bilans » toutes ces recommandations ou solutions lesquelles ne remettent jamais en question la vraie nature des problèmes récurrents d’efficacité du système de santé, ni des problèmes bureaucratiques générés dans l’ensemble de la Fonction publique est, pour le moins, exagéré. 

L’entente à l’amiable de 5,5 millions entre les résidents et la direction du CHSLD Herron nous en offre un bel exemple. Dans la Presse canadienne, on peut lire ceci. « Me Arthur Wechsler, avocat représentant les plaignants de l’action collective, a indiqué que l’entente avait été conclue sans reconnaissance de responsabilité de la part des défendeurs ou de leur compagnie d’assurance, qui a accepté de fournir une indemnisation. La somme sera partagée entre la succession des résidents qui sont morts pendant la première vague, les conjoints ou les enfants des défunts ainsi que les résidents qui étaient présents pendant la première vague et qui ont survécu. » Pour leur part les avocats au dossier toucheront 25% du 5,5 millions prévus à l’entente.

Dans ce cas-là, tout se règle sans se soucier de ce qui se passe vraiment sur le terrain. L’objet du débat n’apparaît pas de savoir si la fragilité du réseau des CHSLD (privé, semi-privé) ou même des services publics peut s’occuper des personnes âgées, ni de reconnaître à qui profite cette forme de gestion : l’entreprise ou les personnes âgées. Il s’agit de clore le débat.

 Et puis, à force de nommer les problèmes, bilan par bilan, en mode d’analyse  de « cause-effet », de pouvoir expliquer de cette façon les raisons du dysfonctionnement en santé durant la pandémie, on risque fort de niveler une grande part de la réalité, ayant perdu de cette façon la vue d’ensemble des opérations.

 « Notre dispositif d’écriture prend part à la formation de notre pensée », écrivait Nietzsche, en 1882, se référant à l’invention de la machine à écrire. Plus tard, Macluhan attestera cette idée que « le médium fait le message » en se référant aux moyens de communication audiovisuels modernes (télévision, radio, etc.). On retrouve là l’idéologie ou le crédo selon lequel le « bien-être » humain est confondu avec le « bien-être » de l’organisation. Le contenu de l’activité humaine dans les organisations ne se jauge plus qu’à la mesure des indicateurs de santé. Ainsi, les fameuses notions de productivité, de performance et d’efficience sont-elles promues au rang des vertus humaines.

Par ailleurs, au moment où le quotidien explose et la démocratie est en deuil depuis plus d’un an, le besoin d’un vrai bilan s’impose. Plusieurs enquêtes sont en route pour déterminer qui sont les responsables de dérapages aussi cruels qu’abandonner littéralement des centaines et des centaines de personnes âgées dans les CHSLD. Et cela sans compter les morts parmi le personnel soignant. Le bilan de chacune d’elle ne soulèvera pas nécessairement le besoin d’établir la responsabilité et/ou l’imputabilité des gestionnaires eux-mêmes. Nous l’avons déjà souligné dans un article,[1] la fonction publique, et plus précisément dans l’organisation du système de santé au Québec « l’objet de la gestion n’est plus concrètement le personnel à la base des opérations ni même la clientèle à desservir, mais les systèmes eux-mêmes ».

Cependant, plusieurs employés et gestionnaires d’expérience ont souligné l’accroissement important de la lourdeur de la gestion sur le terrain. L’un d’eux affirme : « Il y a 35 ans, j’avais une gestionnaire directe qui s’occupait de tout ce qui devait être fait au niveau du département et une coordonnatrice qui gérait le côté technique-pratique sur le plancher. Depuis 15-20 ans, les processus et les procédures sont apparus, créant la « nécessité d’ajouter tout plein de gestionnaires qui, à leur tour, ont créé d’autres processus et procédures ». Et avec cette multiplication de gestionnaires, l’employé sur le plancher est bien peu considéré.

La « bilandémie » nous a révélé des « choses » sur l’organisation de la « fonction publique », et également sur la gestion du système de santé.

Premièrement, elle a permis de réaliser ce que le spécialiste en management Henry Mintzberg appelle « les sciences de l’artificiel ». C’est-à-dire que la centralisation du système de santé se contente de jouer sur les leviers de la division du travail, les mécanismes de coordination, le flux du personnel comme celui des usagers, les liens d’autorité et le processus de décisions et les procédures qui en dépendent. Puis ajuster la circulation de l’information afin de répondre aux exigences des nouvelles structures centralisées du système de santé. Rien cependant ne prévoit les bouleversements que ces changements vont avoir sur le terrain des opérations, ni pour le personnel, ni pour les patients.

Deuxièmement, dans une telle opération il est impératif de prendre en charge le discours technico- juridique qui impose ses règles grammaticales. Dans ce contexte, le droit favorisant le contenu des faits et imposant le sens des mots, la réalité sera alors selon le contexte d’une bataille juridique. La socioanthropologue Agnès Vandevelde-Rougale dans son livre La novlangue managériale[2] analyse comment le management moderne participe au corsetage des imaginaires, au façonnage des univers symboliques et à l’écrasement des intelligences.[3]

Troisièmement. Cette lourdeur dans la prise de décision au niveau des opérations vient bien avant la pandémie. Mais elle a cependant mis en lumière ce qui forme le canevas des difficultés rencontrées par les gestionnaires et les employés sur le terrain. Le dédoublement des responsabilités des gestionnaires; l’absence chronique de délégation réelle des pouvoirs; l’habitude des gestionnaires, en lien avec la formation reçue en management, de toujours aborder les différents dossiers et problèmes de l’organisation d’un point de vue analytique délaissant l’approche synthétique laquelle est pourtant l’essence même du management. Le rôle des agences privées de placement du personnel dans la gestion de la pandémie représente « un vecteur important de propagation chez une population dont une bonne partie est extrêmement vulnérable aux effets du virus ».[4] Plus largement encore, concernant le réseau de la santé, il faut s’interroger sur la lourdeur bureaucratique paralysant la Fonction publique.

Une expérience traumatisante

En mars 2020, quand la COVID-19 arrive, le quotidien explose. Depuis, nous vivons dans une société séquestrée. En définitive, la vie sociale sous toutes ses formes dépend de directives émises par le premier ministre du Québec. Chaque semaine, celui-ci au nom de la « Santé publique » détermine les conditions de vie de l’ensemble des citoyens.  Des emplois sont perdus, des commerces ferment, les écoles ferment, puis ouvrent, idem pour la restauration, les gyms, les sports d’équipe et tout ce qui existe ou pas selon les directives. Celles-ci varient d’une région à l’autre. La couleur de la zone où vous habitez détermine vos heures de sortie le soir : par exemple le couvre-feu en zone rouge est à 20 h, en zone orange 21 h 30.

Tout est pensé et pesé à partir de scénarios établis par les scientifiques de la Santé publique afin de garder le contrôle sur la pandémie. Mais en définitive ces scénarios seront retenus (ou non) selon l’estimation de la portée politique de telles décisions. Or depuis, la pandémie continue, le confinement laissant cette impression que nous vivons en attendant la levée du jour. Chez nous et dans le monde, combien de morts hier, combien d’éclosions, combien ont été hospitalisés, etc., etc.

Déjà les bilans de toutes sortes saturent le marché. L’immanence des statistiques (ou des sondages) pour parler d’un pays, d’une région, d’un système de gestion en santé, d’une catégorie de personnes, des personnes elles-mêmes est devenue une pratique incontournable. Notamment dans les médias, particulièrement ceux qui cherchent davantage l’effet viral que de livrer l’information. Les bilans construits sur cette base façonnent un matériau, qu’autrement on appellerait un humain, réduit à des chiffres et des équations utiles pour ajuster par exemple les programmes des partis politiques.

Trop de bilans s’appuient sur la chicane et les scénarios catastrophes. C’est plus payant que de chercher la nature de cette pandémie. Maintenir le suspense et provoquer l’émotion dans la population sont devenus une nécessité économique à l’ère de l’information continue.

Alors il nous faut chercher ailleurs afin de mieux comprendre la nature de la vie sous la menace de la COVID-19. Il ne s’agit plus de mesurer, ni d’expliquer, mais de comprendre ! Sans prévenir, l’épidémie de la COVID-19 a franchi la porte de tous les pays. Ce que nous avons vécu chez nous, les citoyens de tous les continents l’ont également vécu.  Du coup, le récit de la vie privée et publique n’a plus de sens et, au nom du bien commun, les nations sont encore obligées de jeter leur dévolu sur des scénarios catastrophes.

Pourquoi TINTIN, l’œuvre d’Hergé, vient comme référence et support à nos propos.

Dans la revue Philosophie magazine, intitulée Tintin et le trésor de la philosophie[5] on fait cette première constatation philosophique à l’histoire revisitée des vingt-quatre aventures de Tintin couvrant la période de 1930 à 1986. En fait, peu importe les événements, les aventures, les expériences vécues, « Tous les chemins mènent à l’homme ». Et ce qu’on peut en tirer s’apparente davantage à un petit traité de métaphysique, de morale et/ou du politique. Ce qui nous éloigne de ce désir médiatique qui est de tenter d’établir cette longue liste de solutions issue de la « bilandémie ».

De fait nous constatons depuis un an avec la pandémie, ici comme ailleurs dans le monde, que « Tous les chemins mènent à l’homme ». Car au-delà des prescriptions continuellement répétées à l’ensemble de la population de « porter le masque, de maintenir toujours une distance de deux mètres entre individus et de se laver régulièrement les mains », les événements observés, mais également vécus durant toute la pandémie concernent plutôt la morale et les sciences humaines basées sur les mœurs de notre époque.

La pandémie, comme un miroir, nous a ouvert les yeux sur un monde qui est en fait le nôtre. Revoir notre monde, nos modes de vie, nos mœurs, nos pratiques, nos façons de penser lesquelles a été le socle de nos sociétés depuis près d’un siècle. À peine une année a suffi pour que les rouages, les processus et les dimensions de la vie sociale se révèlent. Le défi cependant, reste de pouvoir se dire ce que nous n’arrivons pas à nous dire pour comprendre collectivement l’impact de cette pandémie.

Avec au compteur plus de 10,500 morts au Québec, des questions essentielles sur l’éthique scientifique et professionnelle se posent : le juste et l’injuste pour maintenir un minimum de qualité de vie, le vrai et le faux véhiculés dans les médias, la capacité et la compétence des gestionnaires sur le terrain, le respect ou non des personnes plus précisément dans les établissements de santé.

Et c’est en réexaminant les aventures de Tintin qu’anthropologues et philosophes de la revue ont jeté la lumière sur les fondements métaphysique, éthique et politique de notre société. Avec la pandémie, l’immanence d’un vécu collectif apparaît tout à coup. Notre vécu est cruellement projeté par la pandémie, où la primauté économique prend le pas sur l’éthique dans la majorité des décisions étatiques, et où la politique s’enlise dans les difficultés insurmontables liées aux problèmes bureaucratiques dont la fragilité de notre système de santé fournit un bon exemple.

Un vécu qui, soudainement, apparaît comme une métaphore du Québec de demain.

Aussi avec l’aide de Tintin nous avons voulu déposer un bilan pour demain.

Dans la Revue, le philosophe Jean-Luc Marion « voit dans les aventures du reporter (Tintin) un dépassement progressif de la division entre les hommes, les cultures, les identités jusqu’à aboutir à une universalité de l’éthique ». L’œuvre d’Hergé non seulement nous fait découvrir le XXe siècle, mais elle nous donne à l’avance les concepts et les thèmes philosophiques pour refaire notre histoire.

Ainsi « faire le tour de l’homme » depuis la pandémie signifie jeter un regard sur : le rôle du capitalisme, la notion de propriété, la division des hommes selon l’âge, la nature des problèmes de santé, l’idéologie du management moderne, le rôle de la science, de la religion, de la volonté, de la dignité, s’exposer au dilemme moral, à la peur, la corruption, la manipulation, la communication, l’information, la loyauté, la promesse, la confiance. Et du point de vue géopolitique, peser l’exercice du pouvoir, la domination, le courage ou la sujétion.

Voyons voir parmi ces thèmes ceux qui ont balisé notre façon de voir la vie en temps de pandémie et surtout de la vivre.

1-     La mise en scène du pouvoir de l’Agence de santé publique du Canada. L’idéologie du management l’emporte.

« Voilà plusieurs décennies que les épidémiologistes annoncent une pandémie. Mais contrairement aux tremblements de terre auxquels se sont préparés la Californie ou le Japon, les démocraties occidentales se sont réveillées hébétées par la COVID-19 ». [6]

Josée Legault[7], en référence, au rapport récent de la vérificatrice générale du Canada Karen Hogan, parle du fouillis qui régnait à Ottawa au début de la crise sanitaire concernant les voyageurs à l’étranger, sous la responsabilité de l’Agence de santé publique du Canada (ASPC) : l’absence d’alerte de santé publique, l’utilisation d’outils technologiques désuets, collecte et partage déficients d’informations. Par conséquent un suivi ultra laxiste des voyageurs.

Le journaliste Alec Castonguay rapporte, dans Le printemps le plus long[8], que « la douzaine de spécialistes canadiens en détection précoce des maladies contagieuses qui forment l’équipe du Réseau mondial d’information en santé publique (RMISP) n’ont détecté aucun indice de ce qui se tramait, depuis des jours, voir des semaines, au Wuhan.

Le RMISP créé en 1990, avait, avec le temps, développé une grande efficacité, étant la source principale d’alertes précoces sur les maladies infectieuses pour 85 pays dans le monde. Mais « une partie de bras de fer entre les scientifiques et l’Agence de la santé publique du Canada » a tout compromis. « Les médecins et épidémiologistes du RMISP se font assigner des tâches supplémentaires…ils doivent s’occuper de certains phénomènes en santé publique, comme le vapotage chez les jeunes ou les maladies transmises sexuellement. Les scientifiques ne peuvent plus émettre d’alerte internationale sans que plusieurs cadres de l’Agence de santé publique du Canada approuvent la notification à l’avance ». « Le matin du 31 décembre 2019, les épidémiologistes du RMISP n’ont pas eu la permission de leurs supérieurs d’émettre une alerte mondiale. Et c’est le 9 janvier 2020 seulement que l’Agence de la santé publique publie un avis destiné aux médecins et aux experts en santé publique du pays. Évidemment, le virus circulait déjà probablement depuis des semaines.

Castonguay pose alors cette question inquiétante : « Pourquoi l’unité d’élite canadienne en détection des nouvelles maladies infectieuses était-elle en panne au moment où la planète en avait le plus besoin en 100 ans? » La réponse semble évidente. Ce que nous avons comme information du comportement de l’Agence de santé Canada » indique qu’il s’agit bien d’un rapport de force idéologique entre fonctionnaires et spécialistes en santé publique.

Juste avant la COVID-19, le Canada possédait l’un des meilleurs réseaux d’alerte au monde pour les pandémies. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) le considérait comme la « fondation » du système international. Nous aurions donc collectivement délesté, sous l’autorité de l’Agence de santé publique du Canada, l’importance stratégique de reconnaître le plus tôt possible la présence d’épidémies locales qui se répandent rapidement si le corps médical n’est pas rapidement alerté et la population mise en garde.

Même l’OMS n’a pas été écoutée. Les experts de l’organisation, le 30 janvier 2020, déclenchent « l’état d’urgence de santé publique de portée internationale », peut-on lire dans le Printemps le plus long. Déjà « la Chine approche des 9000 cas. On recense 98 infections hors de Chine, dans 18 pays ».

« L’alarme sonne, mais personne ne se réveille. L’effet tombe à plat ».

Au bilan de la pandémie reliée à la COVID-19, il nous faut donc inscrire cette couche superficielle d’insouciance à l’échelle mondiale des différentes communautés humaines devant ce danger permanent. Depuis des siècles, les maladies infectieuses transmissibles ont fait des millions de morts au sein de communautés dans le monde entier : épidémie de choléra, de peste, de fièvre jaune, de variole, de grippes, etc. C’est donc dire que la liste est longue des épidémies que la « Sécurité publique », y compris tous les chercheurs et spécialistes dans le domaine, combattent depuis des siècles.

Dans le bilan de la pandémie, le retrait des spécialistes de la science dans l’évaluation à venir du danger des maladies infectieuses pour la sécurité publique est une erreur. Le rôle de la science est soumis à la manipulation et domination du pouvoir bureaucratique.

2-     Tout dépend de nous. Dilemme moral et problème éthique.

« Dans La doctrine de la vertu, Emmanuel Kant fait la voix, la voix « terrible » de la conscience, le mode de manifestation sensible de la loi morale. Elle fait raisonner en chacun de nous un appel et nous interpelle chaque fois que nous sommes enclins, en tant qu’être sensible, happé par les plaisirs et les distractions, de nous étourdir et de nous endormir, en oubliant notre destination morale » … « Pour nous qui sommes des êtres finis, c’est-à-dire libres et sensibles, l’expérience morale prend les traits d’une loi, nécessaire et universelle, que prononce un « juge intérieur ».

 Une petite voix intérieure qui nous dit ce qui est bien ou mal.

Un premier exemple. Le scandale du CHSLD Herron, propriété du Groupe Kasata, est un des 40 CHSLD privés du Québec.  Le 30 avril 2020, 38 résidents du CHSLD sont décédés de la COVID-19. « Ce qui me fait le plus mal, ce ne sont pas juste les décès, mais la manière dont les patients ont été traités avant de mourir » raconte Mylène Drouin. Même dans des pays pauvres, quand il y a une épidémie, on ne laisse pas les gens crever de soif et de faim tonne la Dre Johanne Liu, ex-présidente de Médecins sans frontière.

Depuis les premiers rapports d’enquête, on n’en finit plus de cerner des problèmes similaires d’un établissement à l’autre : ratio de personnel insuffisant, problèmes de formation, problèmes de gestion sur le terrain, problèmes contractuels avec les propriétaires, etc. La pénurie de personnel sévit depuis des années et souvent les employés sur le terrain sont laissés à eux-mêmes. Nous sommes en mai 2021 et on parle encore de l’effroyable gestion dans certaines résidences pour aînés.

Trois constats s’en dégagent.

Primo. Les gestionnaires propriétaires de ces établissements ont oublié, comment peut-on dire, leur destination morale. Dit autrement, leurs responsabilités vis-à-vis des personnes âgées. Il faut se rendre à l’évidence, la rentabilité contractuelle et le discours comptable ont happé leur attention. Il faudra se souvenir de ce que la pandémie nous a révélé : la base contractuelle sur laquelle fonctionne la gestion des résidences a surtout montré que les intérêts du monde des affaires ne sont pas compatibles avec la gestion des conditions de vie des personnes âgées en résidence.

Secundo. Pendant ce temps-là nombre d’infirmières et de préposés ont senti, eux, l’obligation de s’occuper des personnes âgées sous la forme d’un impératif, une petite voix intérieure qui leur a dit « tu dois ! ». Sans tenir compte des circonstances ou des possibilités d’une situation, chacun se sentant obligé de « faire ce qu’il doit, advienne que pourra ». Or, présentement, ceux et celles que l’on appelle les ‘anges’ tiennent à bout de bras le réseau des résidences, mais aussi celui plus large du système de santé, et encore aujourd’hui depuis la troisième vague.

Tertio.  Il y a une constante dans la gestion des résidences : les solutions arrivent généralement trop tard, quand le mal est fait, et souvent après que plusieurs personnes aient rapporté des situations problématiques ou inacceptables. Le vrai défi du gouvernement sera de reprendre le contrôle de toutes les résidences pour personnes âgées au Québec. Gros mandat. C’est beaucoup plus qu’établir les bases contractuelles pour loger correctement des personnes âgées en résidence. Beaucoup plus ! Partant de l’expertise en gériatrie et gérontologie, il importe de redéfinir la nature des responsabilités dans la gestion des établissements; y compris ces nouvelles résidences dont la ministre Blais pilote le dossier : que ce soit un vrai milieu de vie pas un commerce, un pensionnat, encore moins une forme de prison.

 3-      Les agences privées de placement de personnel ne sont pas la solution pour assurer le bien-être des résidents.

Le chroniqueur Henri Ouellette-Vézina (La Presse, 25 mars 2021), rapporte les propos de M. David Routhier président de l’exécutif syndical local affilié à l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS). Celui-ci parle « d’une forme de maltraitance organisationnelle » dans l’utilisation systématique encore aujourd’hui des agences pour combler les besoins en personnel sur le terrain. De même en est-il de la circulation du personnel d’un établissement à l’autre.

 D’après l’ergothérapeute du CLSC Bordeaux-Cartierville « Ça arrive que les préposés qui sont envoyés (par une agence) ignorent ce qu’ils doivent faire. Ils demandent aux patients eux-mêmes, alors que plusieurs ont des troubles cognitifs ».  « Il y a énormément de bris de service. Pour nous, ces manquements corrompent les droits des usagers. Nos patients ne sont pas respectés ».

Les experts estiment, rapporte François Allard dans La Presse du 9 avril 2021, « que leur part de revenus provenant de leurs contrats avec le réseau public et les établissements privés conventionnés dépasserait « depuis la pandémie » la barre du milliard de dollars. Les revenus de ces entreprises auraient triplé depuis 2019… Plus loin, il écrit : « Par son inaction, le gouvernement se rend ainsi complice du sacrifice des personnes aînées et en situation de handicap au profit de ces entreprises dont l’unique responsabilité est de produire un bénéfice pour les actionnaires ».

Toutes les formules sont possibles dans le cadre d’une bilandémie sans jamais régler quoi que ce soit. Les agences de placement du personnel dans le réseau de la santé (même si elles sont de nature publique), tout comme les propriétaires privés, ont l’unique objectif de produire un bénéfice pour les actionnaires. Plus encore, elles sont un handicap au bon fonctionnement laissant très souvent les personnes âgées sans leur offrir les soins qui nécessitent des rapports constants entre le personnel et les bénéficiaires.

 4.     La fonction publique québécoise complètement pervertie par la bureaucratie.

« Qu’est qui fonde le pouvoir? D’où provient la légitimité d’un dirigeant? Comment l’État peut-il se maintenir alors qu’il est traversé par d’innombrables lignes de forces et d’intérêts contradictoires? Fidèle à son réalisme mordant en matière de politique, Pascal souligne que le pouvoir est d’abord et avant tout une mise en scène… »  

Toujours sur le pouvoir Pascal écrit : « L’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur (…). En même temps, « rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes ».[9]

Une caste parasitaire a pris le pouvoir dans la fonction publique québécoise bien avant la réforme Barette. Celui-ci-ci a voulu, par une loi, centraliser le système de santé aux dépens du personnel sur le terrain des opérations, mais aussi aux dépens des personnes qui reçoivent des services. L’humain disparaît derrière les ratios, les règles de procédure, les contrôles, etc. Pire encore, on perd de vue le bien commun.

Or ce qui détermine la nature d’une organisation, ce sont les rapports sociaux qui se nouent dans la sphère productive du travail : connaissance du terrain, loyauté, compétence reconnue, relation d’autorité reconnue également comme efficace, etc. Et non l’application de l’idéologie du management moderne : une gestion bureaucratique qui se préoccupe de la spécialisation, et non de l’intégration, de séparer les fonctions, et non des résultats de sa pratique suite aux décisions de la direction, dans le cas qui nous occupe. Le ministère de la Santé n’a pas échappé à cette réforme.  

Nous connaissons maintenant le danger de se couper ainsi du réel. « Quand l’expression ressources humaines s’est substituée dans le jargon du métier au mot personnel, la gestion de ressources humaines a remplacé le comportement organisationnel, rapporte Henry Mintzberg[10], expert des organisations, professeur émérite en management de l’université McGill.

Or, durant cette année « pandémique », l’inefficacité de l’État saute aux yeux. Paul Journet, dans La Presse du 13 mars titre son article L’insoutenable lourdeur de la machine, dans l’exécution des programmes, l’incapacité de transmettre l’information, des hauts fonctionnaires ignorants somme toute ce qui se passe sur le terrain, incapables de chiffrer les besoins en personnel, la lenteur dans la réalisation des programmes en multipliant les procédures.

La fonction publique doit être complètement repensée dans sa structure. Il ne s’agit pas de réduire le nombre d’employés; il ne s’agit pas de considérer la réforme Barette uniquement sous l’angle d’une centralisation à l’échelle de la province. Le regroupement d’hôpitaux et la contrition du nombre de directeurs généraux des différents établissements (y compris du rôle des CA) ont peut-être facilité la tâche des nouveaux PDG des CISSS ou CIUSSS, mais compromis sur le terrain l’exercice plein et entier des soins.

Mais l’impact majeur de la réforme Barette, c’est d’avoir plus que doublé à la verticale les niveaux hiérarchiques dans le ministère de la Santé. Il s’agit de revoir la structure même de l’organisation de l’État : le nombre de ministères, les niveaux hiérarchiques dans la gestion de ceux-ci, décentraliser le pouvoir dans la prise de décision, sortir de l’autorité fonctionnelle, telle la gestion centralisée des ressources humaines (embauche, évaluation, etc.), décentraliser la gestion budgétaire. Et il faut que l’encadrement soit imputable à des responsables proches du terrain.

Il n’y a pas si longtemps le ministre de la Santé, M. Christian Dubé, en conférence de presse, a fait une annonce très intéressante. Les mouvements de personnel dans les établissements de santé sont passés de 20% à 5%. La raison? Il a établi un registre de déplacements de personnel dans chaque établissement. Les données de ce registre lui sont directement envoyées. De cette façon, il a une idée précise de la situation sur le terrain. Il termine sa conférence en ajoutant ceci. D’ici peu de temps, les agences privées de gestion du personnel devraient disparaître. Économie estimée à près de 2 M$. Elles sont toujours là…

5-     Le numérique durant la pandémie :  le recul du droit de propriété

Quand la pandémie arrive…le quotidien explose. « Le droit de propriété est un raffinement de la culture, dont la dangerosité s’accentue avec le développement de l’argent qui permet à certains propriétaires d’accumuler des richesses considérables ». 

« L’épidémie de coronavirus a donné un coup d’accélérateur à la surveillance numérique. Certains pays, comme l’Italie ou l’Allemagne, ont commencé à utiliser les relevés de géolocalisation des téléphones portables pour mesurer l’efficacité du confinement. Plus radicaux, la Corée du Sud, Israël et surtout la Chine - foyer de l’épidémie - ont entrepris de se servir du bornage téléphonique pour retracer l’itinéraire des malades afin de déterminer (et de prévenir) qui ils ont pu contaminer ».[11]

En France ces mesures souvent jugées intrusives et liberticides font débat. Au Québec, ce débat est plutôt marginal dans la population. La « découverte » du télétravail et l’utilisation d’internet furent une véritable aubaine pour les entreprises. Et souvent, une façon intéressante pour les employés de poursuivre leur carrière. Mais il restera après la pandémie à s’interroger sur ceci : l’avantage pour l’employé et l’entreprise, les dangers sociopsychologiques de vivre loin des contacts humains quotidiens. 

Dans Tintin en Amérique, on découvre cette « image des businessmen qui se croient autorisé à exproprier les Amérindiens de leur terre où a été découvert du pétrole au motif qu’ils sont riches ». Cette image, loin de disparaître, apparaît plus vivante encore en ces jours de pandémie. Des propriétaires, à l’évidence ceux du GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazone, Microsoft) et bien d’autres se sont autorisés à s’occuper de notre vie privée aux motifs qu’ils sont richissimes. Aujourd’hui, la sociabilité, soit ce qu’on considère comme une partie de la vie en société, est devenue la propriété de ceux qui fabriquent les algorithmes pour diriger nos désirs, nos opinions, nos comportements, de même qu’en utilisant l’IA (intelligence artificielle) en support à notre intelligence et notre jugement aux fins de vous aider à mieux vivre en société.

Ils se sont appropriés sans nous consulter une partie de notre vie privée laquelle est revendue avec grand bénéfice à tous les commerces (économique, sociopolitique, public, etc.). Et, en contrecoup, les médias sociaux sont devenus pour ainsi dire l’égout où s’écoule ce résiduel de notre vie privée permettant justement à n’importe qui de s’approprier le droit de mettre en péril la Santé publique comme de bafouer les institutions à la base du droit des États. Il n’y a donc pas de surprise à ce que ceux-ci manifestent, rejetant leur propre responsabilité comme citoyen à part entière… et jusqu’à mettre en péril notre propre sécurité.

6-     Le courage…   « … Le courageux refuse de se laisser dominer par la peur qu’il éprouve légitimement et décide d’agir là où le lâche reste tétanisé ».[12]

Pourquoi les nations se sont-elles repliées sur elles-mêmes jusqu’à prendre le contrôle des vaccins disponibles malgré les dispositions prises par l’OMS? Celle-ci cependant donne souvent l’impression de parler dans le vide. Difficile de cerner où se trouve l’homme courageux devant les décisions difficiles à prendre. La pandémie a donné, pourrait-on dire, à chaque chef d’État l’audace d’agir. « D’avoir le courage, de donner aux élus comme au peuple, cette disposition de l’âme entre la témérité et la lâcheté ».

La pandémie nous a ouvert les yeux sur la capacité des chefs d’État à maîtriser leur crainte, apprivoiser l’ampleur des décisions les meilleures, mais aussi à fuir leurs responsabilités premières sous toute forme de discours trompeurs. Le bilan dépasse ici l’exercice d’une bilandémie.   Il y a le talent de communiquer, il y a la crédibilité dans la gestion quotidienne de cette lutte à finir contre le risque de mourir et le confinement. À travers le monde, tous les chefs d’État ont affronté cette épreuve. Du nombre, certains sont encore chefs d’État. Au Québec, il y a encore un chef d’État.

Conclusion

Alors la question nous revient. Pourquoi tant d’improvisation et de manque de ressources en 2020? Avec ce que notre société vit depuis un an, il faut s’interroger à la fois sur le rôle du politique et sur la bureaucratisation de la médecine. « [Avec] l’hécatombe qui a frappé les personnes âgées et en dépit de l’effondrement des citoyens devant la bureaucratisation délirante des services sociaux et hospitaliers », rappelle Denis Bombardier,[13] nous avons été brusquement plongés dans l’inconnu.

 Et pourtant, en 1947, près de soixante-quinze ans avant le début de la pandémie de la COVID-19 en 2020, Albert Camus dans un roman devenu célèbre, La Peste, décrivait précisément ce qu’on vit depuis un an. Le confinement. « La déclaration obligatoire et l’isolement furent maintenus. Les maisons des malades devaient être fermées et désinfectées, les proches soumis à une quarantaine de sécurité, les enterrements organisés par la ville (…). Un jour après, les sérums arrivaient par avion. Ils pouvaient suffire aux cas en traitement. Ils étaient insuffisants si l’épidémie devait s’étendre (…), l’épidémie sembla reculer, et pendant quelques jours, on compta une dizaine de morts seulement. Puis, tout d’un coup, elle remonta en flèche ».

Au-delà des débats que les politiciens entretiennent en permanence, nous vivons à l’âge de l’information continue, des revendications identitaires et communautaires, où le débat touche aux conditions physiques et morales essentielles, sinon foncières, pour vivre en société.

La pandémie nous a permis de percevoir la nécessité pour tout citoyen, aux fins de Santé  publique, de libérer une fois pour toutes la science de la manipulation du pouvoir bureaucratique, de protéger la destinée profondément humaine de personnes âgées systématiquement considérées du seul point de vue économique en ce domaine, de renoncer aux  agences privées de placement du personnel dans la gestion du réseau de la santé, de libérer la fonction publique d’une bureaucratie qui paralyse la gouverne de la nation, de protéger le droit de propriété privé malgré les progrès du numérique, enfin, d’avoir le courage pour notre chef d’État de ne pas se contenter de gérer à la pièce les dossiers dont nous venons de parler.

À la fin, deux commentaires, inévitablement, doivent s’ajouter à notre propos.

Le premier se réfère à ce que le philosophe Jean-Luc Marion, professeur à l’université de Chicago, met en lumière concernant le comportement des Dupont, dans Tintin et le trésor de la philosophie »[14]. Ces deux limiers toujours présents lorsque Tintin parcourt le monde, « toujours occupés l’un par l’autre », se comportent, cependant, au contraire des autres personnages d’Hergé, écrit-il. « Ils offrent la caricature du communautarisme : ils veulent être amis avec tout le monde et respecter toutes les « cultures »; donc ils se déguisent, que ce soit en Chine, en Grèce, en Sylvanie, en Arabie ou en Suisse, et même sur un bateau en marins d’opérette, dans le code supposé de la communauté à laquelle ils s’imaginent s’intégrer et où ils se font moquer comme des occidentaux indécrottablement eux-mêmes ». Or, ce comportement inapproprié fut plusieurs fois observé dans la façon dont les leaders politiques au gouvernement fédéral se comportent. Ce qui les éloigne des préoccupations citoyennes.   

Le second commentaire porte sur la solidarité de même que le respect de la majorité des citoyens, malgré l’étendue des sacrifices engendrés, à l’égard des décisions prises par les leaders politiques, y compris celles prises par des scientifiques. Depuis plus d’un an, comme partout ailleurs au Canada et dans le monde, les Québécois affrontent les dangers de cette guerre contre le virus et vivent aussi au quotidien la sournoise expérience du confinement. Dans ce contexte, le leadership exercé par le premier ministre du Québec apparaît comme celui d’un véritable chef d’État.

Nous pouvons donc espérer non seulement un retour à la normalité de la vie quotidienne, mais aussi d’avoir ce courage évoqué plus haut de refaire le Québec selon le bilan que la pandémie nous a permis d’observer.



[1] « Où est l’État? L’État est partout! », les Utopistes, mai 2010, publié dans Le Devoir et sur Cyberpresse -Le Soleil.

[2] Agnès Vandevelde-Rougale, La novlangue managériale. Emprise et résistance, Érès, 2017.

[3] Philosophie magasine, George Orwell, ça nous regarde, Avril, 2021.

[4] La Presse +, François Allard, À qui le poison? 19 avril, 2021.

[5] Revue Philosophie magazine, Tintin et le trésor de la philosophie, Numéro Hors-Série, 2021

[6] Philosophie magazine, Tintin et le trésor de la philosophie, p.41

[7] Josée Legault, « Le colosse au pied d’argile », Journal de Québec, 2 avril 2021.

[8] Alec Castonguay, Le printemps le plus long Au cœur des batailles politiques contre la COVID-19, Québec Amérique,2021

[9] Philosophie magazine, Le pouvoir de Tintin à Pascal, p95. Blaise Pascal, Pensées, 56, Hachette.

[10] Henry Mintzberg, Des managers des vrais! Pas des MBA. Éditions d’Organisation.2005. p.37

[11] Philosophie magazine, Tintin et le trésor de la philosophie, la propriété, p.90.

[12] OP.Cit. p.52

[13] Bombardier Denise, ‘l’Énigme François Legault, Journal de Québec, 13 mars, 2021.

[14] Philosophie magazine, Tintin et le trésor de la philosophie, Jean-Luc Marion, p.16