Cher Monsieur Legault, arrivé à
ce point dans la lutte contre la pandémie, je dois vous dire que maintenant,
vous en faites trop. Tous et toutes, avec raison, ont reçu et apprécié comme il
se doit votre gestion de crise ouverte, franche et sans flafla de la pandémie
qui nous frappe tous. Votre conférence de presse quotidienne est suivie comme
autrefois les grandes messes du dimanche de Pâques ou la messe de minuit de
Noël. Ça fait plus d’un mois que vous soutenez ce rythme infernal, et ça
commence à paraître, je suis au regret de vous le dire. Mme McCann et le Dr
Arruda aussi, soit dit en passant, on commence à lire la fatigue sur leur
visage. C’est là que des erreurs risquent d’être commises.
Les médias et commentateurs à
tous crins commencent - avec raison - à regimber, à grincer des dents. Ils
posent des questions de plus en plus pointues et embarrassantes. Ils découvrent
des situations inacceptables ici et là, partout au Québec et surtout dans la
région de Montréal. Ils jouent le rôle de l’opposition, puisque l’Assemblée
nationale ne siège pas. Cela est une erreur.
L’Assemblée nationale, notre
parlement, vous semblez l’avoir oublié, est un service essentiel en démocratie.
On peut comprendre le besoin de réactions rapides et aussi efficaces que
possible en début de crise. Suspendre les débats pour quelques semaines, ça
peut aller. Mais là, le parlement québécois est fermé depuis trop longtemps,
depuis beaucoup trop longtemps. Je sais d’instinct que les bureaucrates du
monstrueux ministère de la santé n’aimeront pas ça : ils adorent gouverner
par décrets. Mais rouvrez-le, notre parlement. Vous verrez : il y aura beaucoup
plus de bénéfices que d’inconvénients. De plus, il va de soi qu’une période de
questions au Salon bleu ou en partage virtuel remplacera la conférence de
presse que vous donnez de plus en plus inutilement en personne à tous les
jours. Arrivé là où nous en sommes, une rencontre de presse aux deux jours
serait suffisant. Amplement.
Erreur
Votre gouvernement, à l’instar de
beaucoup d’autres, a commis dès le début de la pandémie, une erreur de taille.
Vous avez sorti les personnes âgées hospitalisées des centres hospitaliers pour
les envoyer dans les CHSLD et autres ressources similaires. Il fallait rendre
disponibles en quantité des lits d’hôpitaux en prévision de l’arrivée massive
des contaminés à la Covid-19. Bien sûr, c’est facile de constater après coup cette
mauvaise orientation. Le regard en arrière est toujours de qualité 20/20. Ce
faisant, toutefois, vous avez transformé beaucoup de ces maisons d’hébergement
de nos vieux et vieilles en centres d’infection du Covid-19 où présentement, ça
continue de mourir presque comme des mouches.
Vous vous arrachez le cœur à
demander de l’aide pour les CHSLD dont le personnel, sous-payé, est infecté et en
quarantaine ou a déserté le bateau par peur de l’infection. La vocation de
héros n’est pas pour tout le monde. Évidemment, cela ne règle en rien la
situation à moyen terme de ces établissements qui, depuis leur constitution,
sont devenus des dépotoirs de vieux êtres humains. Vous ne faites qu’amener
plus de pompiers volontaires pour combattre un incendie qui couve depuis des
décennies.
Après avoir demandé l’aide des
médecins spécialistes, puis du personnel médical de l’armée, puis des
fonctionnaires dans la machine gouvernementale, puis (encore) de l’armée, vous
faites maintenant appel à toute la population du Québec pour tenter de soulager
le personnel restant et débordé dans les CHSLD. Vos appels paraissent de plus
en plus désespérés.
Puis, pendant que vous faites
tout cela (vos journées sont consacrées à préparer la conférence de presse) et
espérez que la bureaucratie ne vous a pas mal informé de ce qui se passe sur le
plancher des vaches, il semble que personne autour de vous ne pense à l’APRÈS.
Je ne parle pas ici du déconfinement un peu, beaucoup, pas trop. Non, je parle
du monde à réinventer pour l’après pandémie.
Quel monde ?
Vos décrets sur le confinement
ont brisé le monde que nous connaissions. Les mesures d’éloignement sanitaire
entre personnes viennent de jeter par terre le modèle sociétal consumériste qui
était le nôtre. Après la période que nous vivons et quand nous serons enfin
sortis de cette pandémie, qui, selon vous, acceptera d’aller dans un restaurant
qui ne garantira pas une distance prudente entre les clients de même que la
propreté immaculée du lieu ? On peut se poser la même question pour les
cinémas, les festivals de toutes sortes qui rassemblent des foules immenses ou
les gens sont collés les uns aux autres.
Après cette pandémie, qui voudra
à nouveau de s’entasser comme du bétail dans les classes économiques des avions
pour aller dans le sud ou en Europe ? Enlever deux tables sur trois dans les
restaurants assurera leur faillite, pour ceux qui auront survécu à la présente
période. Faire de même et faire disparaître des rangées entières de bancs dans
les avions, les trains de passagers ou les autobus urbains ou scolaires créera
toutes espèces de problèmes au plan de l’économie et du génie. Actuellement,
quelque part caché dans les organigrammes de vos ministères, quelqu’un a-t-il
entrepris cette réflexion et commencé à identifier des orientations et des
pistes d’action ? Il le faudrait, parce que ces questions vont se poser à
toutes les sociétés.
Je ne veux pas ajouter à votre
charge de travail. On dit que gouverner, c’est prévoir. Vous devriez être rendu
là.