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Gavrilo Princip est ce jeune Yougoslave qui, le 28 juin 1914, a assassiné l'archiduc François-Ferdinand, héritier du trône austro-hongrois, et son épouse, Sophie à Sarajevo en Bosnie.
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Gavrilo Princip |
Sans être aussi sinistre, le refus de la
Wallonie de donner maintenant son accord à la
conclusion du traité de
libre-échange entre l'Union européenne et le Canada est-il susceptible de jouer
un rôle analogue dans le développement du libre-échange et de la mondialisation
sans cesse accrue de l'économie ? Il est probablement trop tôt pour répondre à
cette question, mais le parallèle est frappant entre ces deux événements bien
différents en nature.
En 1914, même sur un fond de nationalismes
réprimés et de querelles sur le développement des colonies, les empires
paraissaient d'une solidité à toute épreuve ; le geste de Princip constitua une
note discordante, la proverbiale allumette au milieu des barils de poudre. En
2016, sur un fond de nationalismes de plus en plus hostiles à la fusion dans
les grands ensembles et face au mécontentement croissant envers la
globalisation et la mondialisation des échanges, l'attitude de la Wallonie
oblige à la réflexion sur les bienfaits de ces traités de libre-échange.![]() |
Paul Magnette |
Le doute est maintenant installé. Cui bono ? demanderait un Bernard
Landry, toujours friand de citations latines. En effet, à qui profitent
vraiment ces traités et cette mondialisation économique ? De plus en plus, des
citoyens réalisent que la mouvance facilitée des biens et des services ne profite
vraiment qu'aux entreprises multinationales et par elles, au célèbre « 1% » de
la population qui trône au sommet des plus riches de la planète.
La classe moyenne, pour sa part, ne tire
pas aussi bien son épingle du jeu, même si le crédit et la consommation lui
permettent de mener une certaine dolce
vita, toujours sous la menace des opérations de « restructuration » autant
dans le privé que dans les services publics. La classe plus ouvrière a vu,
subit et voit et subit encore les effets de la délocalisation des emplois,
terme poli pour dire qu'on déménage les usines là où la main-d'œuvre coûte
moins cher. Même la Chine commence à délocaliser sa production vers l'Afrique,
car les ouvriers chinois, pas plus cons que les nôtres, ont demandé et obtenu
de meilleures conditions de rémunération. Chez nous, la Caisse de dépôt va même
construire tout un réseau de transport en commun électrique sans un seul conducteur.
Le progrès, dit-on. Quant aux plus démunis, la mondialisation économique ne
leur a rien apporté. Rien.
Ici au Canada et au Québec, nos dirigeants
en sont encore à la croyance béate dans les avantages du libre-échange. Que ce
soit chez M. Couillard ou M. Trudeau, pas la moindre réserve envers le dogme
libréchangiste. « C'est bon pour l'économie », entonnent-ils en chœur, faisant
écho à d'autres dirigeants politiques comme Angela Merkel ou François Hollande,
et se faisant encenser par toutes les chambres de commerce et autres agents de
l'économie.
Pourtant…
Pourtant le libre-échange et son objectif
de mondialisation de l'économie constituent un géant aux pieds d'argile. On a
toujours dit que nul monarque ne peut gouverner sans l'accord de ses sujets.
C'est tout aussi vrai en démocratie. Or, la colère monte. Elle monte lentement,
mais elle monde. L'échec de la tentative de créer une zone de libre-échange
entre les deux Amérique au début des années 2000 aurait dû lancer un signal de
prudence. Il n'en a pas été ainsi. Le projet Trans-Pacifique bat de l'aile pour
toutes sortes de raisons, mais fondamentalement pour protéger des marchés.
Enfin, vingt-cinq ans après la conclusion du traité de libre-échange
nord-américain, l'ALENA, voici que les deux candidats à la présidence des
États-Unis expriment de sérieuses réserves sur le libre-échange existant ou à
venir, en réponse à un sentiment négatif grandissant chez les électeurs
américains envers cet aspect du néolibéralisme.
Bref, l'édifice vacille. La Wallonie, qui demande
à comprendre les tenants et aboutissants du traité Canada-UE, ne veut pas se
faire bousculer. Son refus d'obtempérer en silence a créé et crée encore une
sérieuse onde de choc. Les optimistes comme nos premiers ministres sont irrités
certes par la communauté wallonne, mais ils sont persuadés d'avoir l'histoire
de leur côté.
Les plus réalistes, cependant, saisissent
probablement que la résistance des Wallons pourrait bien être le grain de
sable, le coup de revolver capable
sinon de renverser des empires, du moins d'entreprendre le début de la fin de
la libéralisation sans limites des échanges commerciaux dont Monsieur ou Madame tout le monde
ne voit toujours pas les bienfaits._________________________